Sri Lanka, plantation de thé à Nuwara Eliya (© Sylvie Strobl)

dimanche 13 octobre 2013

Taxi

Khaled Al Khamissi
Traduit de l'arabe (Egypte) par Hussein Emara et Moïna Fauchier Delavigne
Babel n°1075


Khlaed Al Khamissi est producteur, réalisateur et journaliste. Le Caire, il connaît bien : c'est sa ville, celle où il est né. En 2005 et 2006, il a sillonné la capitale égyptienne en taxi, écoutant ce que les chauffeurs avaient à lui dire de la situation sociale, politique, économique... de son pays. Il en a tiré 58 courts récits pour autant de conversations qui nous permettent de prendre le pouls de l'Egypte sous Moubarak, quelques années avant qu'éclate le printemps arabe. 

A mi-chemin entre la littérature et le journalisme d'investigation, "Taxi" nous plonge dans la vie du peuple : celle des petites gens qui, bien souvent, n'ont que la débrouille pour survivre. Mais ce que l'on découvre surtout au travers de ces récits, c'est une Egypte où il ne fait bon vivre que pour les riches ; une Egypte où règnent la corruption et la violence, qui profite à ceux qui ont le pouvoir et affaiblit chaque jour davantage la population. 

En quelques lignes, Khlaled Al Khamassi nous campe des personnages et des situations avec un réel talent de conteur, sans jamais se départir d'une forme d'humour qui donne une résonance particulière à ses mots. Tantôt le narrateur est à l'écoute des chauffeurs qui ont besoin de se confier, tantôt il les questionne. Petit à petit se dessine une image de la société cairote. 

Dans cet univers plutôt masculin, les femmes ne sont cependant pas oubliées : passagères silencieuses ou surprenantes comme celle qui fait dire à un chauffeur : "Vous ne me croiriez pas si je vous racontais tout ce qui m'est arrivé (...). Ca fait plus de vingt ans que je suis taxi. J'en ai vu des histoires, mais celle qui vient de m'arriver est la plus drôle". Ce qui est arrivé à ce brave homme, c'est qu'une femme en niqab est entrée dans son taxi. Alors qu'il effectuait le trajet pour la conduire à destination, quelle ne fut pas sa surprise de la voir ôter son niqab, se retrouver en bigoudis qu'elle a ôtés, eux aussi, avant de se coiffer soigneusement, puis retirer sa jupe longue qui en cachait une beaucoup plus courte, se défaire de son chemisier qui cachait, lui, un petit haut moulant... et enfin sortir une trousse de maquillage et des chaussures à talons hauts. Devant l'effarement du chauffeur, la cliente s'est justifiée : "Je travaille comme serveuse dans un restaurant. C'est un travail respectable pour une femme respectable. Je travaille de manière honorable. Mais là-bas, il faut que je présente bien.
Chez moi et dans tout mon quartier, c'est impossible de sortir ou de rentrer comme ça, sans niqab. Une amie m'a donné un faux contrat avec un hôpital à Ataba. Ma famille croit que j'y travaille".

Et comme la débrouille est à tous les niveaux, l'amie lui prête aussi son appartement pour qu'elle puisse se changer, en échange évidemment d'une petite rétribution ! Mais ce jour-là, l'amie n'étant pas disponible, c'est dans le taxi que la femme a effectué sa métamorphose !

"Taxi" ne se lit pas d'une traite, comme un roman. C'est un livre qui se distille, que l'on ouvre le temps de deux ou trois récits puis que l'on repose, encore dans la réflexion qu'il inspire. C'est aussi un témoignage lucide mais plein de tendresse qui nous éclaire sur ce qui a amené les Egyptiens à se soulever : le besoin viscéral de vivre dans la liberté et la dignité.

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